Louis Rieuvernet, spéléologue

Dans la revue Fenouillèdes n°8, Bernard Ournié rend hommage à Louis Rieuvernet  (né à Caudiès en juin 1900) qu'il considère comme un précurseur, "... qui parcourait en solitaire la campagne à la recherche de ce que son entourage a longtemps pris pour quelques chimères aux alentours de 1955-1960."... 

Pierrette Rieuvernet, a confié un texte manuscrit sur cahier d'écolier, écrit par Louis Rieuvernet et intitulé: "Comment je suis devenu spéléologue". Ce texte de la première exploration par les enfants du village, est reproduit ici.

 

"Spéléologue en ce qui me concerne est un bien grand mot, admettons qu'on puisse étendre cette qualification à tout individu qui ne peut passer devant l'entrée d'une grotte sans tenter de la visiter et alors je vous réponds: par une leçon de lecture en classe et la curiosité d'un groupe d'écoliers sur le terrain.

Cette leçon m'a été donnée à l'école de Caudiès, avec un groupe de camarades, vers 1912-1913. Nous étions nés la 1ère année du siècle et nous formions la classe du certificat d'études. Notre instituteur commençait à nous prendre au sérieux et nous permettait de lui poser quelques questions complémentaires, même en dehors du sujet traité. C'est ainsi qu'à l'occasion d'une leçon de lecture, il fut question des grottes en général, et d'une excavation en particulier, "la grotte du chien", que nous apprîmes que cette caverne se trouvait dans les environs de Naples, en Italie, et qu'il s'y produisait des émanations d'acide carbonique, qui asphyxiaient un animal de petite taille, un chien par exemple, s'il s'aventurait dans cette caverne. Ces accidents se produisaient, parce que le CO2, plus lourd que l'air, s'accumulait dans les fonds. Pour les éviter, il était prudent, à l'occasion d'une visite à cette curiosité naturelle, de promener une bougie allumée, au ras du sol. Si elle s'éteignait, il était dangereux de pousser plus avant.

Tout ceci nous avait bien intrigués.

Mais des excavations dans la montagne, nous en avons à Caudiès. Pourquoi ne pas s'y rendre et vérifier si elles sont ou non dangereuses. La discussion continua pendant la récréation et même les suivantes, chacun voulant dire son mot. A la fin de la discussion, il ne resta que 2 clans en présence: l'un étant d'avis de se rendre dans une grotte de Caudiès, l'autre d'avis contraire. Le premier, plus dynamique ébauchait tout de suite la façon de visiter une caougno. Les caougnes et les barrencs, tous les enfants du village en ont entendu parler mais aucun ne sait où ils se trouvent, car à cette époque, on emmenait les enfants dans les champs mais jamais dans la montagne. Cette localisation d'une caougno fut la première difficulté qui se présenta et elle ralentit notre élan. Heureusement, elle fut vite surmontée. Dans le groupe des explorateurs il y avait le fils du cantonnier. Depuis longtemps, pendant la belle saison, son père, le jeudi, l'emmenait avec lui sur la route du col St Louis. Il lui avait montré où se trouvaient les entrées des grottes et barrencs du quartier. Il servirait de guide. Un camarade avait une longue vue, cet appareil pourrait nous être utile, dans le cas où nous serions obligés de rejoindre la route par un sentier peu fréquenté; nous l'emporterons.

Quant à l'éclairage il faudra utiliser le seul qui existe: la bougie. Chacun videra les bougeoirs de la maison et rassemblera les lumignons. Le plus habile confectionnera  avec un fil de fer un manche assez long auquel sera fixée la bougie la plus longue. Il nous servira à détecter la présence de CO2 , et d'éclairage de secours en cas de besoin. Toute l'équipe se munira de journaux et de papier plus épais qui se consumera plus lentement. Le chef que s'était donné le groupe, ne voyant pas l'utilité de se munir d'autre chose, il ne restait plus qu'à fixer la date de l'expédition et l'heure du départ.. Tous les explorateurs était d'accord pour que ce soit le plus tôt possible, c'est le jeudi suivant qui fut choisi. Comme tous les parents n'avaient pas été mis au courant de l'affaire, il ne fallait pas que lui soit fait une grande publicité, on se réunira donc sur le pont de Quillan.

                      A l'heure convenue tout le monde était présent et le signal du départ fut donné. La joie régnait dans le groupe, on attendait ce moment depuis si longtemps, et le premier kilomètre fut franchi dans l'allégresse. Mais ce premier kilomètre nous amenait au pied de la côte et beaucoup d'entre nous n'avaient jamais été plus avant. La vitesse ascensionnelle s'en ressentit et au 1er virage toute l'équipe fit une courte halte pour admirer le paysage: Caudiès dans sa cuvette. Le 2ème kilomètre nous dévoila la combe inconnue. La végétation y était moins rachitique que dans les environs d'où nous venions. Les troupeaux de moutons et de chèvres (plusieurs centaines de têtes) y pacageaient. Notre guide commença à se manifester et nous montra du doigt l'endroit où nous devions nous rendre. La longue-vue fut mise à contribution. La pente de la route devenait toujours plus raide et les chants commençaient à s'espacer. Le fils du cantonnier nous prodiguait ses encouragements et nous arrivâmes au pont des rajoles. Il était temps. Une halte y était prévue et une agréable surprise nous y attendait. A quelques mètres de la route se trouve l'ouverture d'un barrenc. En quelques minutes la fatigue disparut et les spéléologues en herbe étaient affairés à chercher des pierres qu'ils lançaient dans le puits. Ils écoutaient le bruit de leur choc quand elles percutaient le rocher. Elles allaient grossir le tas qui a du se former depuis que les passants jettent des cailloux dans le puits. C'était merveilleux mais nous ne pouvions nous éterniser et il fallait reprendre la route.

La pente s'était radoucie et nous entamions la dernière étape. Le courage était revenu et au prochain virage notre camarade guide nous montra, à quelques cents mètres au devant de nous, un éperon qui subtilisait la route au précipice. A cet endroit se trouve l'entrée d'une caougno peu importante. on peut y circuler debout, sur une petite distance seulement, le conduit ayant été colmaté par de l'argile, un très bon abri toutefois pour le cantonnier et les bergers. C'est là que nous abandonnons la route, pour prendre un sentier qui nous conduira à la grotte de nos rêves. Après avoir enjambé le parapet et trouvé le sentier tracé dans les éboulis, nous voila au pied d'une falaise et au bas, on peut voir l'ouverture d'une grotte. Toute l'équipe est à pied d'oeuvre, chacun se délestant de ses paquets. Quelques apprentis spéléo se hasardent même à faire quelques pas dans la gueule du monstre. Notre chef se prend très au sérieux et nous donne ses ordres. Les bougies sont partagées, et le papier aussi. Il sera formé des équipes, l'équipier marchant en tête tenant au ras du sol le bougeoir à long manche détecteur de CO2, suivi d'un camarade muni d'un journal allumé pour éclairer son prédécesseur et le troisième fabriquera les torches en papier. Les équipes seront espacées pour pouvoir s'éclairer mutuellement. Il ne faut pas oublier de se munir chacun d'une branche de noisetier, pas rare à cet endroit, qu'on emportera dans la caougno. En cas de rencontre nez à nez avec une famille de blaireaux ou de renards, il ne fait pas bon se présenter sans armes. Il faudra peut-être aussi se défendre des chauves-souris. Il parait que ces bestioles fréquentent les cavernes. Et puis, il ne faut pas oublier la couleuvre, cet énorme serpent, que l'on entend siffler par les chaudes journées d'été, mais jamais vu par un berger et qui pourrait bien s'être réfugié dans la caougno.

Nous voilà donc prêts à entrer en action. Les préparatifs avaient été faits dans l'entrée de la caverne à la lumière du jour, mais nous nous doutions bien que cet éclairage ne durerait pas longtemps, et un éclaireur fut envoyé ur place, se rendre compte de la façon dont se présentait la suite. On alluma les bougies et le signal du départ fut donné. Après quelques pas dans la pénombre, on dut allumer les journaux mais le stock en fut rapidement épuisé et il fallut entamer la réserve de papier épais. A ce moment la fumée avait envahi la grotte et nous marchions accroupis. Elle nous gênait pour respirer et nous forçait à tousser mais du CO2 encore pas le moindre soupçon.

Nous avancions lentement, mais comme il n'y avait au sol rien qui puisse gêner la progression, nous arrivâmes assez vite à l'endroit où la station debout devint impossible. Encore quelques mètres dans l'obscurité et notre chef, dans l'impossibilité de faire autrement, décida le retour à la lumière du jour..

Notre expédition était terminée. Nous n'avions pas trouvé de CO2 mais nous avions vu l'intérieur d'une grotte. Tout le monde était satisfait. Une pensée allait vers notre instituteur qui était à l'origine de notre exploit. Nous avions fait nos premiers pas sous terre.